By Alya Sebti and Wafa Gabsi
Winter 2014 | Gallery
Ils l’ont vu surgir avant de le faire surgir d’eux-mêmes. Ils l’ont observé, ils l’ont interrogé, ils l’ont domestiqué. Les papillons se brûlent les ailes infiniment. Les humains créent perpétuellement. A chacun sa tragédie du feu. C’est quand ils ont maîtrisé le feu que les humains ont inventé l’art.
Aujourd’hui et pour la première fois, le pouvoir est à la fois globalisé et immatériel. La finance nous gouverne par la spéculation. L’on n’est plus riche par l’argent que l’on possède mais par les taux virtuels que l’on impose aux politiciens. La valeur de la richesse ne se mesure plus, elle se donne en spectacle d’illusionniste. Le concept n’est plus philosophique mais publicitaire. Les idées d’états, de politiques, de sociétés, de dieux, de droits de l’homme, etc., dans lesquelles on nous assène de croire ne sont que de la prestidigitation quand les richesses de la terre peuvent suffire à trois fois la population mondiale actuelle et qu’au même moment des millions d’humains meurent de faim.
Si le politique est devenu le faire-valoir du financier, l’art devient la dernière valeur humaine. Mais l’art aussi est en grande partie infesté par les rentiers, les oligarques et les fonds d’investissements. Comme pour le politique, cette « élite monétaire mondiale » créé des avant-gardes normatives au niveau de la réflexion, le financement, la production et la diffusion artistique : foires, workshops, dotations… L’artiste n’invente plus que la manière de rentrer dans le rang et se détache irrémédiablement de son essence : « être la mauvaise conscience de son temps » (Saint-John Perse).
Au bord de l’Histoire, il n’y a qu’un pas pour en être au ban. Pour que l’œuvre se libère des chaînes de l’Historique et du Politique, l’artiste doit au contraire en être imprégner. C’est à partir de cet espace et de ce temps qu’un au-delà est possible, qu’on modèle un espace et un temps autres. Il y a un « ici et maintenant » pour l’artiste mais son œuvre annule parfois, déborde toujours, cet « ici et maintenant ». Elle n’obéit pas aux mêmes règles. L’œuvre ne connait pas l’apesanteur à laquelle est assujetti le corps.
C’est donc en étant dans l’Histoire, que l’artiste peut la déborder par son œuvre. Comme le feu, la création est l’espace des contraires : elle brille et brûle en même temps. Et c’est en étant en contact, en dialogue et en confrontation avec ses contemporains que son œuvre peut être singulière. La pratique artistique est un singulier pluriel. Comme le feu, elle réchauffe et dévore.
« Je est un autre » écrivait Rimbaud et toute la définition de l’artiste est là : réceptacle des altérités, au-delà de l’individu, espace pour le visible et l’invisible, pour le dicible et l’indicible, pour le possible et l’impossible. Un lui-même et son débordement, un autre et ses multiplications, une personne et des collectivités à la fois. Quel autre travail pour lui en ces temps que de faire surgir, là où il est, parmi sa tribu de naissance ou sa tribu d’élection, un feu nouveau ? Comme le premier homme inventant le premier feu, quel travail pour l’artiste que transformer le quotidien en absolu et la solitude en altérités ?